La 41e édition du Forum économique mondial de Davos, qui s’est tenue du 26 au 30?janvier, restera marquée du sceau de la division. Alo que la Chine ressort comme la grande gagnante et que tous s’accordent sur l’envolée des Bric, les clivages entre financiers, patrons d’entreprises et politiques n’auront jamais été aussi importants.

La 41e édition du Forum économique mondial de Davos, qui s’est tenue du 26 au 30?janvier, restera marquée du sceau de la division. Alors que la Chine ressort comme la grande gagnante et que tous s’accordent sur l’envolée des Bric, les clivages entre financiers, patrons d’entreprises et politiques n’auront jamais été aussi importants.

Malgré le retour de la croissance mondiale (+?5?% en 2010), les participants au Forum économique mondial de Davos font profil bas. Alors que les pays émergents arrivent à tirer leur épingle du jeu, l’Europe continue de se débattre avec son problème de dette publique, les États-Unis défendent péniblement leur suprématie mondiale et le Sud est au bord de la surchauffe. Bien que la situation actuelle soit incomparable avec les années 2008-2009, le chemin vers la coopération n’en reste pas moins tortueux. Les dirigeants politiques ont tous affirmé qu’il était indispensable de continuer, car, comme l’a remarqué Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, le risque que l’on «?oublie les leçons de 2008?» existe.


Les leaders occidentaux enlisés dans leur gestion nationale
Jamais le clivage n’a été aussi important entre les 1 440 dirigeants d’entreprises venus à Davos, des multinationales pour la plupart, et les responsables politiques occidentaux. «?Les premiers vivent au rythme du marché mondial, qui progressera de près de 4,5?% et même de 7,2?% dans les pays émergents, les seconds ont les yeux braqués sur les courbes du chômage?», confirme un collaborateur de la ministre de l’économie Christine Lagarde. Le Forum économique mondial n’a fait que mettre en lumière ces différences. Les dirigeants parient sur les Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) et leur croissance continue pour alimenter la reprise, alors que les leaders occidentaux sont enlisés dans leur gestion nationale. Klaus Schwab, le patron du forum, résume la situation générale en parlant de «?macro-pessimisme, micro-optimisme?».
Mais les entrepreneurs ne sont pas les seuls à trouver des points de désaccord avec les responsables politiques.


Les financiers font passer leur message
Les financiers, anglo-saxons pour la plupart, ont tenté de leur faire passer un message : trop de réglementation va nuire au bon fonctionnement de leur organisme et à leur compétitivité. Par conséquent, cela entraînera une diminution du financement de ces mêmes États. Trop de règles et d’exigences risquent de tuer la finance et l’économie. Et tous font bloc derrière cette idée : Jamie Dimon, p-dg de JPMorgan, Robert Diamond, le directeur général de Barclays, ou encore Gary Cohn directeur d’exploitation de Goldman Sachs tenaient le même discours lors du forum. Ce n’était peut-être pas le lieu adéquat au vu du nombre de responsables politiques.

Nicolas Sarkozy au Forum économique mondial 2011Le président français, Nicolas Sarkozy, a mis une fois de plus les spéculateurs en garde. Sa ministre de l’Économie, Christine Lagarde, a répondu point par point à Robert Diamond. Davide Serra, le gérant du fonds britannique Algébris, a proposé que les membres de conseils d’administration des banques soient personnellement responsables de leurs actes en impliquant une partie de leur patrimoine. Un industriel allemand a même estimé qu’ils devraient être passibles de prison. Alors que la croissance est de retour dans la majorité des pays représentés au forum, le fossé n’a jamais semblé aussi profond entre la finance et le reste de l’économie.


Une crise financière occidentale
S’ajoutant à l’animosité des entrepreneurs et des financiers, les pays occidentaux ont pu également se rendre compte de leur manque d’attractivité face aux pays émergents. Susilo Bambang Yudhoyono, le président de l’Indonésie et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) en 2011, a profité de sa présence au forum pour affirmer que «?selon toute vraisemblance, le XXIe?siècle sera asiatique?».
Pénalisées par leur démographie déclinante, les économies occidentales ont de plus en plus de mal à préserver une certaine suprématie. «?La crise financière occidentale (et non mondiale)?», comme le souligne l’universitaire de Singapour Kishore Mahbubani, n’aura nullement entamé le rattrapage historique du Sud. Selon une comparaison souvent citée de Ben Bernanke, le président de la Banque centrale américaine, le PIB des pays émergents s’est accru de 45?% depuis 2005 quand celui des pays riches a progressé d’à peine 5?%.


Des débats en mandarin
Mais si le Brésil, l’inde et la Russie s’en sortent mieux que les autres, le grand vainqueur de ce 41e forum est sans conteste la Chine, comme l’a souligné la chancelière allemande Angela Merkel. Au cœur des débats, les participants ont retrouvé l’empire du Milieu dans de nombreux thèmes abordés : faut-il avoir peur de la Chine, la compétition entre l’Inde et la Chine ou encore la (mauvaise) image de la Chine véhiculée par la télévision publique chinoise. Signe des temps, pour la première fois à Davos la session consacrée à l’industrialisation de la Chine s’est déroulée entièrement en mandarin. «?Les trois mots qui caractérisent la Chine depuis dix ans sont "fabriqué en Chine", les mots qui la caractériseront dans les dix ans à venir seront "appartient à la Chine". Et, après 2020, ce sera "payé en renminbi"?», plaisante à moitié Gérard Lyons, le chef économiste de la banque Standard Chartered.


Craintes
Pourtant, malgré l’enthousiasme des entrepreneurs occidentaux devant le marché chinois, les responsables politiques et hommes d’affaires chinois ont préféré minimiser ces expectatives en soulignant les carences dont souffre le pays : la diminution de la main-d’œuvre, le vieillissement de la population et surtout le manque d’investissement criant dans l’éducation. Six millions de diplômés sortent des universités chinoises chaque année et un tiers ne trouvent pas d’emploi. Les leaders communistes chinois partagent également ces craintes. Ce n’est pas nouveau : ils ont tendance à exagérer les faiblesses de la Chine lors de leurs échanges avec les étrangers.


Une édition en demi-teinte
Mais ce discours ne saurait masquer une vraie stratégie de long terme. Le contraste entre le déclin des pays occidentaux, englués dans leurs difficultés immédiates, et des grandes puissances émergentes telles que la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud ou encore la Turquie continue de s’accentuer. Cette édition s’est donc clôturée en demi-teinte, alors qu’aucun des chantiers abordés à l’édition Davos 2010 n’a avancé : la reconstruction d’Haïti a échoué, la guerre se poursuit en Afghanistan, le Proche-Orient est dans l’impasse, avec une menace de reprise des troubles au Liban, et l’Iran maintient son intransigeance sur son programme nucléaire.
D’autres conflits se sont ajoutés, comme la lutte de pouvoir entre deux présidents en Côte d’Ivoire, la révolution de Jasmin en Tunisie, le soulèvement en Égypte et plus généralement dans les pays arabes. Le Forum de Davos, qui vient d’agrandir son palais des congrès, a encore quelques bonnes années devant lui.

 

Les phrases choc de l'événement  :
«?La Chine est le grand vainqueur de cette crise?», Angela Merkel, chancelière allemande
«?On a un moral d'acier sur les marchés extra-européens?», Gérard Mestrallet, p-dg de GDF Suez
«?La crise financière est occidentale et non mondiale?», Kishore Mahbubani, universitaire de Singapour
« Selon toute vraisemblance, le XXIe?siècle sera asiatique?», Susilo Bambang Yudhoyono, président de l'Indonésie
«?En Chine, les trente dernières années ont été celles de la réforme économique, les trente prochaines seront celles de la réforme sociale?», Zhang Xin, p-dg de Soho China
«?Notre ressource la plus rare est le temps », Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU.