Les professionnels de la fiscalité sont de plus en plus confrontés à des risques pénaux. Les renforcements législatifs et réglementaires dans la lutte contre les délits fiscaux (fraude fiscale, blanchiment, financement du terrorisme) entraînent une augmentation significative de l’exposition de la ­responsabilité pénale des professionnels de la fiscalité alors même que l’avocat-conseil n’est plus protégé par le secret professionnel.

L’élargissement des obligations incombant au professionnel de la fiscalité pour lutter contre blanchiment d’argent, la fraude fiscale et l’optimisation fiscale internationale – L’arsenal préventif et répressif visant spécifiquement les conseils intervenant en matière fiscale s’est renforcé au cours de la dernière décennie. L’obligation de signaler des activités suspectes, établie par l’article L. 561-15 du Code monétaire et financier et introduite en 2009, trouve sa genèse dans la directive européenne 2005/60/CE du 26 octobre 2005.1 Cette directive concerne la prévention de l’utilisation du système financier pour le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Elle impose aux professionnels du secteur fiscal de déclarer toute activité ou transaction suspecte qui pourrait être liée à une fraude fiscale. 

La loi du 23 octobre 20182 illustre également cette tendance à responsabiliser les professionnels de la fiscalité en introduisant une amende spécifique à leur encontre. Cette sanction, de nature fiscale et non pénale, vise les professionnels qui ont fourni à un contribuable un service facilitant directement des actions, des omissions ou des stratégies spécifiquement détaillées, susceptibles d’entraîner une infraction fiscale.

Enfin, en matière d’optimisation fiscale transfrontalière, la directive UE 2018/8223 impose aux intermédiaires, dont les avocats et conseils fiscaux, l’obligation de déclarer les dispositifs transfrontières considérés comme potentiellement "agressifs" fiscalement.

L’inflation d’obligations déclaratives imposées à l’avocat fiscaliste n’est pas sans influence sur le risque pénal de la pratique de conseil fiscal.

La poursuite aggravée du conseiller fiscal comme auteur principal d’un délit fiscal – Tout d’abord, il convient de rappeler que de nombreux délits sont voisins à celui de fraude fiscale et à son blanchiment proprement dit (article 1741 du Code général des impôts4), comme les délits d’omission d’écritures ou de passation d’écritures inexactes ou fictives, ainsi que celui dit d’entremise, tous deux prévus par l’article 1743 du Code général des impôts5. Le premier délit vise à sanctionner les manquements aux obligations comptables ; quant au second, il réprime l’action d’un professionnel qui facilite, en agissant en intermédiaire, l’évasion fiscale d’une partie ou de la totalité de la fortune d’une autre personne.

L’article 1745 du Code général des impôts prévoit que les personnes condamnées au titre des articles 1741, 1742 et 1743 du même code encourent la peine complémentaire de solidarité, et peuvent ainsi "être solidairement tenues, avec le redevable légal de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes". Il en résulte qu’aux termes de ce texte, le conseil fiscal est assimilé au fraudeur et sera redevable notamment des montants éludés par celui-ci.6 À cet égard, il importe de relever qu’en matière de blanchiment de fraude fiscale, la qualité de conseil fiscal est une circonstance aggravante au titre de l’article 324-2 du Code pénal.

Ainsi, le conseil fiscal encourt des peines plus sévères que le fraudeur lui-même.

Le risque pour le conseil fiscal d’être retenu comme complice des infractions fiscales commises par ses clients – Le risque d’être considéré comme complice pour le conseil fiscal est particulièrement sévère en matière d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, de complicité et de blanchiment de fraude fiscale. L’étude des récentes jurisprudences démontre que ce risque ne cesse de s’accroître. Plus particulièrement, dans l’affaire "Ricci", le conseil fiscaliste de Madame Ricci a lui-même été condamné pour complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité par la cour d’appel de Paris.7

En effet, l’article 1742 du Code général des impôts dispose que les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal sont applicables aux délits définis à l’article 1741 du Code général des impôts et permet ainsi des poursuites pénales à l’encontre des complices des délits fiscaux.

"Présomption" de l’élément intentionnel pour les professionnels de la fiscalité – En droit pénal fiscal, en vertu de leur compétence supposée – "le professionnel est par définition compétent"8. Ainsi, l’élément moral des délits fiscaux commis par une ­professionnelle de la fiscalité s’apparente à un dol présumé9. Il en résulte que l’élément moral est fréquemment déduit de la matérialité des faits et de la qualité professionnelle du prévenu.

Il est ainsi courant que les juges répressifs motivent l’intentionnalité de l’infraction par la seule qualité de professionnel de l’auteur des actes, estimant que cette qualité implique une pleine conscience de la commission de l’infraction.10

Une protection affaiblie par l’impossibilité d’opposabilité du secret professionnel des avocats fiscalistes dans le cadre de leurs ­activités de conseil en cas de saisie de documents – L’article 56-1-2 du code de procédure pénale dispose que "(…) le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du Code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions."

Ainsi, l’avocat conseil, en matière de perquisition diligentée dans le cadre des délits fiscaux et de délits de blanchiment ne bénéficie pas de la protection des articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale, à savoir la faculté de s’opposer à des saisies de documents en se prévalant du secret professionnel.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée notamment par le barreau de Paris et avec l’intervention de l’Institut du droit pénal fiscal et financier, a validé l’article 56-1-2 du code de procédure pénale qui ôte aux seuls avocats conseils les rares protections offertes par l’article 56-1 du code de procédure ­pénale en matière de perquisition du cabinet d’avocats.11

Pourtant, la Cour de Justice de l’Union européenne ne partage pas la position restrictive du Conseil Constitutionnel. Elle a notamment rappelé par une décision du 8 décembre 2022 que "la profession [d’avocat] même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques."12

Comment dès lors justifier que le "secret professionnel du conseil", s’il est consubstantiel à la mission de l’avocat, n’apporte pas les mêmes garanties que le secret professionnel de la défense ? Le pragmatisme ne veut-il pas qu’une consultation faite par un avocat-conseil fiscaliste sera systématiquement considérée comme facilitant une éventuelle fraude ?

Il n’est pas impossible qu’il faille toquer à la porte du juge européen pour voir tout le ­secret professionnel et rien que le secret ­professionnel consacré et protégé.

1 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
2 Loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
3 Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.
4 Article 1741 du CGI.
5 Article 1743 du CGI.
6 Deltraz S., "La nature de la solidarité de l’article 1745 du CGI", Lexis Nexis, Etude, Procédures fiscales, 551.
7 Cour d’appel de Paris, 19 mai 2017, n° 15/03218, Ricci.
8 Blanchard C., "Le notaire et le risque pénal", JCP N, 2018.1269, n° 28.
9 Jeandidier W., "L’élément moral des infractions d’affaires ou l’art de la métamorphose", in Mélanges Decocq, LexisNexis, 2004, p. 369 et s., spéc. p. 383.
10 Voir par exemple : Crim. 31 janv. 2007, n° 06-81.258.
11 Conseil constitutionnel, DC n°2022-1030, QPC, 19 janvier 2023.
12 CJUE, Belgian Association of Tax Lawyers c. Vlaamse Regering, 8 décembre 2022, Affaire C-694/20 (§ 28 ).

 

LES POiNTS CLÉS

 
Renforcement législatif et réglementaire contre les délits fiscaux : les professionnels de la fiscalité font face à des risques pénaux accrus en raison des mesures législatives et réglementaires renforcées pour lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Leur responsabilité pénale s’accroît, notamment en raison de l’inflation législative des obligations de déclaration.

Risque de poursuite pénale pour les conseillers fiscaux : les conseillers fiscaux peuvent être poursuivis comme auteurs principaux ou complices de délits fiscaux. Des articles spécifiques du Code général des impôts (articles 1741, 1742, et 1743) et du Code pénal (article 324-2) prévoient des peines sévères, y compris la solidarité dans le paiement des impôts fraudés.

Affaiblissement du secret professionnel : la protection du secret professionnel pour les avocats-conseils est affaiblie, notamment en cas de saisie de documents dans le cadre d’enquêtes sur des délits fiscaux. Cet affaiblissement a été validé par le Conseil constitutionnel, mais demeure contestable au regard de la position de la Cour de Justice de l’Union européenne, soulignant le rôle essentiel du secret professionnel dans la mission de l’avocat.

 

SUR LES AUTEURS

Armand Feste-Guidon, avocat depuis près de dix ans, a développé une pratique dans les contentieux pénaux d’entreprise et accompagne les sociétés, dirigeants et particuliers dans la gestion du risque pénal et leur défense. Il allie expertise juridique et compréhension des enjeux d’entreprise, et intervient devant l’ensemble des juridictions pénales. Diplômé de sciences po paris et de l’université paris 1 panthéon-sorbonne, il intervient en français, en anglais et en allemand.

Djamel Belhaouci, avocat au barreau de Marseille, s’attache à la défense pénale, et tout particulièrement à la cybercriminalité touchant les entreprises, les dirigeants et les particuliers. Diplômé en droit de l’université Aix-Marseille ainsi qu’en cybersécurité à l’école d’ingénieur de l’université bretagne sud, il intervient en français, en allemand, en anglais et en luxembourgeois.