Les contentieux devant l’Autorité des marchés financiers (AMF) sont parmi les plus complexes : la technicité des manquements boursiers, couplée à une jurisprudence parfois peu lisible, impose au mis en cause de préparer sa défense avec soin et de s’entourer de conseils qualifiés. Les 20 ans de l’AMF offrent l’occasion de revenir sur les évolutions – et perspectives – de ce type de contentieux.

L’AMF a été créée le 1er août 2003 par la loi de sécurité financière et, à l’inverse de mousquetaires fatigués par des années au service de la couronne, son influence s’est accentuée tout au long des vingt dernières années. La jurisprudence récente de la Commission des sanctions montre l’impact que cette dernière est susceptible d’avoir sur les marchés et le monde des affaires : elle a prononcé, le 7 septembre dernier, une sanction de 25 millions d’euros à l’encontre de Rallye, holding de contrôle du groupe Casino, au motif qu’elle aurait diffusé entre 2018 et 2019 des informations fausses ou trompeuses susceptibles de fixer son cours à un niveau anormal ou artificiel. Rallye a interjeté appel de cette décision et, invoquant sa situation financière critique – le sauvetage du groupe Casino par Daniel Kretinsky ayant été annoncé quelques semaines avant la décision de la Commission des sanctions –, en a sollicité et obtenu le sursis à exécution. Nul doute que les débats à venir devant la Cour d’appel seront scrutés avec attention. Pourtant, une telle sanction n’aurait jamais pu être prononcée par la Commission des sanctions, telle qu’elle avait été créée en 2003.

Des sanctions décuplées

À l’origine, les sanctions pécuniaires ne pouvaient dépasser 1,5 million d’euros (ou le décuple du montant des profits éventuellement réalisés), pour les personnes physiques comme morales. Le montant total des sanctions prononcées par la Commission des sanctions de l’AMF en 2004 s’élevait à 8,6 millions d’euros (pour 33 sanctions pécuniaires). Ces sanctions, jugées trop faibles en comparaison des profits retirés par les émetteurs sanctionnés, n’étaient pas suffisamment dissuasives aux yeux de l’autorité et du législateur.

Le plafond des sanctions pécuniaires encourues a été multiplié par plus de 65 pour les personnes morales

Depuis 2010, l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier a relevé ce plafond à 100 millions d’euros pour les personnes morales et 15 millions pour les personnes physiques (ou le décuple du montant de l’avantage retiré du manquement). Le plafond des sanctions pécuniaires encourues a ainsi été multiplié, pour les personnes morales, par plus de 65. Le montant total des sanctions prononcées par la Commission des sanctions de l’AMF a atteint en 2022 un record historique : 99,5 millions d’euros (pour 19 décisions). On ne saurait toutefois limiter le bilan de la Commission des sanctions à ces chiffres : il faut saluer les évolutions procédurales intervenues en vingt ans qui ont conduit à une meilleure prise en compte des droits de la défense.

Une prise en compte progressive des droits de la défense

Plusieurs mesures ont été adoptées par la Commission des sanctions : le rapporteur a été exclu du délibéré ; la séance a été rendue publique et un travail continu a été entrepris pour améliorer la motivation et la lisibilité des décisions. D’autres évolutions ont dû lui être imposées. Pour ne citer que la plus marquante, on rappellera que c’est au Conseil constitutionnel qu’on doit la procédure d’aiguillage, qui permet depuis 2016 d’éviter le cumul de sanctions administrative et pénale en matière d’abus de marché. Le Collège de l’AMF et le Parquet national financier sont désormais tenus de choisir laquelle, de la voie pénale ou administrative, est la mieux à même de réprimer les faits reprochés. Plus récemment, le 22 janvier 2022, le Conseil constitutionnel a décidé de l’abrogation du pouvoir de la Commission des sanctions de sanctionner, au titre du devoir de coopération, des personnes dont les réponses lors des enquêtes ou des contrôles étaient jugées approximatives, inexactes ou tardives : ces personnes encouraient un risque de double sanction, dès lors que le délit pénal d’entrave était déjà susceptible de sanctionner ces faits. Si l’on ne peut que se réjouir de ces avancées, espérons qu’elles en appelleront d’autres, notamment en matière de prévisibilité des sanctions.

Une prévisibilité insuffisante

La prévisibilité de la sanction – ou plutôt son absence de prévisibilité – est un sujet récurrent chez les mis en cause et leurs conseils. L’article L. 621-15 du Code monétaire et financier indique, dans des termes dont on appréciera la généralité, que "dans la mise en oeuvre des sanctions […], il est tenu compte notamment : de la gravité et de la durée du manquement ; de la qualité et du degré d’implication de la personne en cause ; de la situation et de la capacité financières de la personne en cause" ; des gains obtenus ; des pertes subies par des tiers ou encore du "degré de coopération" avec l’AMF.

L’AMF ne semble pas favorable à la mise en place d’un barème de sanctions clair

La jurisprudence de la Commission des sanctions confirme qu’il est difficile de prévoir le montant qui sera mis à la charge d’un mis en cause. Or, couplé à l’augmentation très significative du montant des sanctions, l’on ne peut que regretter ce manque de prévisibilité qui a parfois des conséquences pratiques complexes (une procédure est en cours, quel montant provisionner ?).

L’AMF ne semble pas favorable à la mise en place d’un barème clair, soulignant que des critères d’appréciation existent déjà et que leur caractère peu précis permet d’adapter la sanction à la situation de chaque mis en cause.

Si cet argument a un certain mérite, on peut toutefois regretter que l’AMF ne se plie pas a minima à l’exercice de la rédaction de lignes directrices, pratique pourtant courante à laquelle l’Autorité de la concurrence et le Parquet national financier se sont volontairement soumis. Il en va de la confiance des personnes concernées dans les décisions de la Commission des sanctions. Or, comme l’a récemment rappelé la présidente de l’AMF, Marie-Anne Barbat-Layani, renforcer la confiance de l’ensemble des parties prenantes du monde financier est l’un des objectifs fondateurs de l’AMF.

La Commission des sanctions a positivement évolué pour l’atteindre, mais le contentieux AMF reste une affaire de spécialistes, avec une prévisibilité parfois insuffisante. Les professionnels assujettis doivent donc veiller au respect de leurs obligations réglementaires et, si le cas se présente, s’entourer de conseils qualifiés qui pourront les orienter dès la phase d’enquêtes et adapter leur défense aux évolutions de la jurisprudence de la Commission des sanctions.

LES POINTS CLÉS  

  • En vingt ans, le pouvoir de sanctions de la Commission des sanctions de l’AMF s’est considérablement renforcé – améliorant ainsi l’effet dissuasif de ses décisions ;
  • les droits de la défense ont progressé, notamment grâce aux décisions du Conseil constitutionnel : la procédure d’aiguillage permet depuis 2016 d’éviter le cumul de sanctions administrative et pénale en matière d’abus de marché et, depuis 2022, la Commission des sanctions ne peut plus sanctionner le manquement au devoir de coopération ;
  • la légitimité des décisions de la Commission des sanctions souffre toutefois toujours d’un manque de prévisibilité :des lignes directrices pourraient a minima être présentées.

SUR LES AUTEURS

Marine de Montecler est counsel chez Hogan Lovells, spécialisée en contentieux financier et réglementaire et en droit pénal des affaires. Elle a développé une expérience reconnue en matière de contentieux complexes devant les tribunaux français et représente également ses clients devant les autorités réglementaires (notamment l’AMF et l’ACPR).

Sixtine Morin est collaboratrice chez Hogan Lovells, spécialisée en contentieux des affaires. Sa pratique inclut des contentieux boursiers, dans lesquels elle assiste ses clients depuis l’ouverture d’une enquête jusqu’à la procédure devant la Commission des sanctions.

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