En France, les enquêtes internes sont très largement utilisées en matière d’accident du travail, de harcèlement et, depuis la Loi Sapin 2, en matière anticorruption. Elles ne sont toutefois régies par aucun texte. Si la chambre sociale de la Cour de cassation est venue poser les grands principes qui y sont applicables, il n’existe pas de régime précis. Dans ce vaste champ des possibles, l’avocat et plus largement le juriste ont un rôle crucial à jouer car l’entreprise et les salariés qui y participent sont, à ce titre, de potentiels futurs justiciables.

Qu’est-ce que l’enquête interne ?

L’enquête interne est une action mise en œuvre par une personne morale dans le but de déterminer et/ou vérifier l’existence et l’étendue d’un ou plusieurs actes ou abstentions, potentiellement répréhensibles, commis par un ou plusieurs de ses salariés ou représentants, au préjudice d’un ou plusieurs membres de l’entreprise, de tiers ou de l’ordre public.

L’enquête interne peut intervenir à la suite d’un ou plusieurs événements (alerte interne ou externe, accident, audit, etc.). Depuis la loi Waserman n°2022-401 du 21 mars 2021, les entités de plus de 50 salariés ont l’obligation de mettre en œuvre une procédure de signalement interne pour recueillir et traiter les alertes, mais également protéger les lanceurs d’alerte.

À l’issue de l’enquête interne, des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées. L’enquête interne, si elle est dénoncée aux autorités, peut également déboucher sur des poursuites pénales ou nourrir des procédures pénales en cours.

Les grands principes applicables à l’enquête interne et ceux qui sont écartés

Alors que les enquêtes internes visent le plus souvent des actes ou abstentions potentiellement commis par des salariés, elles ne sont régies par aucune disposition spécifique du Code du travail. Leur mise en œuvre est toutefois le corollaire du pouvoir de contrôle, de direction et de sanction de l’employeur, mais également de l’obligation de sécurité dont il est débiteur envers ses salariés. Ne pas diligenter une enquête interne peut donc constituer, pour l’employeur, une violation de son obligation de prévention des risques ­professionnels1.

La jurisprudence sociale est donc venue préciser certains grands principes applicables à l’enquête interne lorsque celle-ci a donné lieu à des sanctions disciplinaires. Ainsi, l’enquête interne doit être impartiale, confidentielle, exhaustive, loyale et proportionnée2.

A contrario, d’autres principes ne sont pas clairement applicables. Il en va ainsi du principe du contradictoire. Ainsi, aucun texte ni décision de justice n’impose à l’enquête interne d’être contradictoire, l’enquêteur n’ayant pas l’obligation d’entendre le mis en cause3. Tout au plus le défaut de contradictoire fragilise-t-il l’enquête, le juge pouvant considérer que la preuve de la matérialité des faits justifiant la sanction n’est pas rapportée4.

Enfin, certains principes sont écartés. C’est le cas des droits de la défense. Le salarié mis en cause et entendu dans le cadre de l’enquête interne ne bénéficie ainsi pas du droit d’être assisté d’un avocat lors de son audition. L’employeur n’a pas plus à lui notifier son droit de se taire5, ni à lui donner exhaustivement connaissance des faits susceptibles de lui être imputés.

Les bonnes pratiques et le rôle crucial du juriste dans leur mise en œuvre

Lorsqu’elle vient nourrir une procédure pénale, l’enquête interne pose un problème de principe. En effet, corollaire de la présomption d’innocence, c’est à l’accusation de rapporter la preuve de la culpabilité. Conduire une enquête interne pour la communiquer aux autorités de poursuite revient donc, d’une certaine manière, à inverser la charge de la preuve. Si, de surcroît, l’enquête interne ne respecte pas les droits de la défense, alors l’équité du procès pénal en découlant est structurellement remise en cause. En d’autres termes, si le produit des enquêtes internes est fréquemment dénoncé aux autorités pénales, les obligations des entreprises en matière de recueil de la preuve sont moins fortes que celles des autorités. Cette discordance permet, en pratique, d’éluder certaines des garanties les plus élémentaires accordées aux justiciables. Il est donc probable (et en tout cas nécessaire) que la jurisprudence renforce, à l’avenir, les conditions de recevabilité des enquêtes internes en tant que preuve.

Les avocats, compte tenu de leur déontologie et de leur formation, ont un rôle crucial à jouer pour aider les personnes morales à identifier et mettre en œuvre les bonnes pratiques nécessaires au ­renforcement de la valeur probatoire des enquêtes internes, dans le respect des droits de la défense.

  • Au stade de la réception de l’alerte
    • L’avocat, au côté de l’entreprise et par l’intermédiaire des mécanismes mis en place pour réceptionner les alertes, doit être associé au traitement de l’alerte afin de déterminer si les informations collectées sont constitutives d’indices ou l’expression d’une volonté de nuire.
    • L’avocat peut également délivrer un conseil de méthode permettant de conférer à l’enquête interne une régularité procédurale, gage de sa future efficacité probatoire.
  • Au stade de l’enquête interne
    • L’avocat peut avoir deux rôles distincts dans le cadre de l’enquête interne.
    • Il peut d’abord être avocat enquêteur. À ce titre, sa déontologie est un atout car elle doit permettre de respecter les principes dont l’application est imposée par la jurisprudence : impartialité, confidentialité, exhaustivité, loyauté et ­proportionnalité.
    • Il peut ensuite être l’avocat d’une personne mise en cause et auditionnée. À ce titre, les pratiques diffèrent et nombreuses sont les auditions de mis en cause réalisées, en enquête interne, sans le bénéfice d’un avocat ou la mention du droit de se taire. Pourtant, nous considérons que les personnes morales diligentant une enquête interne ont tout à gagner à appliquer les droits de la défense et respecter les standards du procès équitable. Rappeler à une personne mise en cause qu’elle est en droit de ne pas s’auto-incriminer et le cas échéant de bénéficier de l’assistance d’un professionnel du droit, aura mécaniquement pour effet de renforcer la parole prononcée et de ­limiter les contestations ultérieures.
  • Au stade du rapport d’enquête et de l’éventuelle qualification des faits identifiés
    • À nouveau, la formation du juriste et son expérience, notamment en matière de contentieux, sera nécessairement pertinente pour qualifier ou disqualifier, en droit, une situation identifiée par l’enquête interne.

1 Cass. Soc, 27 novembre 2019, n°18-10.551.
2 Cass. Soc, 8 janvier 2020, n°18-20151 ; Cass. Soc, 6 juillet 2022, n°21-13.631.
3 Cass. Soc, 17 mars 2021, n°18-25.597 ; a contrario : CA Versailles, ch.11, 28 janvier 2021, n°19/02684.
4 CA Paris, 22 janvier 2020, n°17/12240.
5 Cass Soc, 29 septembre 2010, n009-42459 ; CA Pau, chambre sociale, 10 février 2022, n°19/01351.

 

LES POiNTS CLÉS

 Les grands principes nécessaires à la validité d’une enquête interne : impartialité, confidentialité, exhaustivité, loyauté, proportionnalité. 
Les grands principes encore superflus ou écartés : contradictoire, droits de la défense. 
Le rôle de l’avocat : mettre sa déontologie et sa formation au service du renforcement de la valeur probatoire des enquêtes internes :

                - identification de la pertinence de l’alerte ; 
                - application des droits de la défense ;
                - juste qualification des faits identifiés au stade du rapport.

SUR LES AUTEURS

Guillaume Selnet et Romain Giraud sont avocats, spécialisés en contentieux pénal et des affaires.  Ils ont fondé le cabinet Selnet Giraud Associés en 2022. Ils interviennent au bénéfice de sociétés et dirigeants pour prévenir leurs risques ou au contentieux. À ce titre, ils ont assuré tant le rôle d’avocat enquêteur au bénéfice d’entreprises que celui d’avocat défenseur de dirigeants mis en cause lors d’enquêtes internes.

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