Certains petits candidats ne sont pas pris en compte par les sondages. Ce qui freinerait leur quête de parrainage et leur exposition médiatique. Dans Décideurs, ils reviennent sur ce qu’ils estiment être une injustice démocratique.

Connaissez-vous Hélène Thouy, Georges Kuzmanovic ou Anasse Kazib ? À moins d’être un passionné de politique, il est probable que non. Sachez qu’ils ont un point commun : tous sont candidats à la présidentielle de 2022. La première représente le parti animaliste, le second République souveraine, parti formé essentiellement de nostalgiques de la ligne laïque et souverainiste de Jean-Luc Mélenchon. Le troisième est à la tête de Révolution permanente, parti d’extrême gauche issu du NPA. Depuis quelques mois, ils s’échinent à trouver les 500 signatures d’élus nécessaires pour voir leur nom inscrit sur les bulletins de vote. S’ils se veulent optimistes sur leurs chances de concourir, ils souffrent d’être oubliés par les instituts tels que l’Ifop, Ipsos, BVA ou encore Odoxa.

Séduire les maires…

La quête de ces précieux 500 parrainages d’élus est une tâche de plus en plus ardue. Selon Georges Kuzmanovic, cela est lié à "la réforme de 2012 voulue par François Hollande qui oblige les signataires à rendre public leur soutien". Pour les séduire, il estime que mettre en avant des sondages est un bon outil : "Lorsque l’on contacte des maires, ils nous demandent souvent pourquoi nous n’apparaissons pas dans les intentions de vote, ce qui porte atteinte à notre crédibilité", déplore l’ancien "Monsieur relations internationales" de Jean-Luc Mélenchon. Le son de cloche est le même du côté d’Hélène Thouy qui s’échine à "benchmarker les élus. La clé de voûte est de montrer que nous avons le vent en poupe dans l’opinion et que, à ce titre, nous devons faire entendre notre voix dans le débat public. Mais comment le faire sans chiffres à l’appui ?". Pour les petits candidats, il faut donc ruser et développer des méthodes alternatives. Les équipes de République souveraine ont ainsi mis en place un algorithme qui, pour le moment, a permis de recueillir 140 parrainages en identifiant les élus les plus favorables. Au-delà de ce travail de lobbying, apparaître dans les sondages est un excellent moyen d’exister médiatiquement et de maximiser ses chances le jour J.

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Georges Kuzmanovic a obtenu près de 140 parrainages. Mais le fait de ne pas être sondé lui complique la tâche.

Exister médiatiquement

Georges Kuzmanovic en est persuadé : "Même avec 1%, on reçoit une certaine onction qui nous permet d’accéder aux médias, d’exposer notre projet, de montrer que nous avons un programme global et que nous ne sommes pas des hurluberlus." En somme, une première apparition aiderait à semer des graines. Ce qu’observe également la candidate animaliste qui estime qu’être ignoré des sondeurs "condamne à l’indifférence" et "ne permet pas aux Français de s’intéresser à notre projet". En somme, à cause des sondages, des candidats sérieux seraient censurés tandis que d’autres, sans programme précis, seraient mis en avant. C’est en tout cas l’impression de Georges Kuzmanovic, lequel dénonce "une fabrique du consentement" qui conduit à promouvoir des "candidats construits médiatiquement. Ce fut le cas d’Emmanuel Macron, sondé avant même d’avoir une ébauche de programme. On retrouve le même cas de figure ces derniers mois avec Éric Zemmour." Les sondages seraient donc un véritable outil pour booster sa campagne. Ce n’est pas Hélène Thouy qui dira le contraire.

L’exemple animaliste

Lassée d’être sous les radars des instituts, l’avocate de 37 ans a décidé de commander elle-même un sondage. "Nous avions l’impression que notre candidature était toujours considérée avec indifférence par les médias", déplore celle qui a pourtant recueilli 2,2% des suffrages aux dernières élections européennes. Un score tout sauf folklorique puisqu’il est quasiment égal à celui des communistes et qu’il dépasse le total des deux listes défendant le Frexit.

"Depuis mon premier sondage, le nombre d'appel de journalistes a triplé"

Mi-novembre, les animalistes ont donc consacré une partie de leur petit budget pour recourir aux services de l’Ifop. Surprise : le mouvement est mesuré à 2% et devance d’autres petits candidats plus expérimentés et médiatiques tels qu’Arnaud Montebourg (1%) ou encore Philippe Poutou et Jean Lassalle (0,5%). Les grands quotidiens ont aussitôt repris ces chiffres pour le plus grand bonheur d’Hélène Thouy : "Le cercle vertueux est enclenché : le nombre d’appels de journalistes a triplé, je peux accéder davantage aux médias, expliquer mes idées, me crédibiliser." Et pourquoi pas, intégrer les prochains baromètres.

La parole est à la défense

Malgré une certaine rancœur, les candidats interrogés se gardent bien de s’en prendre aux sondeurs. "Ce ne sont pas des margoulins qui refusent de tester un parti car ils ont pour client privé un mouvement concurrent. De même, je ne pense pas qu’ils soient dans une logique partisane qui les conduit à blacklister certains candidats", estime Georges Kuzmanovic qui reconnaît toutefois qu’ils sont "dans une logique de buzz. La plupart des clients sont des médias qui cherchent avant tout à vendre du papier et qui ont un budget parfois serré. On peut comprendre que cela incite à ne pas tester tout le monde." Entre les lignes, on devine que l’ancien cadre de LFI et d’autres petits candidats sont désireux de comprendre pourquoi les instituts ont la fâcheuse tendance à les bouder. La meilleure façon de le savoir reste de contacter un sondeur. Dans cet article, c’est Paul Cébille, chargé d’études à l’Ifop qui s’y colle.

"Avec des candidats à moins de 2% la marge d'erreur est importante et le sondage perd en significativité"

Selon lui, si les études d’opinion ne sont pas prédictives, elles doivent essayer d’être le plus précises possible. Or "avec des partis à moins de 2% d’intentions de vote, le risque de se tromper est important puisque plus le score est petit, plus la marge d’erreur est forte. De plus, certains candidats ne sont pas connus du grand public, les insérer peut fausser leur score." C’est une des raisons qui expliquent pourquoi certains candidats de cette précampagne ne sont pas testés. Ce fut la même chose lors des scrutins précédents.

Contrairement aux candidats interrogés, Paul Cébille pense que le fait de ne pas apparaître dans les intentions de vote ne constitue pas un handicap pour décrocher les précieux parrainages : "Jacques Cheminade ou François Asselineau ont pu concourir lors de la dernière présidentielle, pourtant nous ne les avions pas insérés dans nos personnalités à tester." En revanche, lorsque le casting présidentiel est connu, ils sont tous pris en compte. Avant cela, "aucune règle n’existe dans les instituts" qui ont l’habitude de « se baser sur le scrutin présidentiel précédent ». La candidate de Lutte ouvrière Nathalie Artaud apparaît d’ailleurs régulièrement malgré les très faibles 0,56% et 0,54% obtenus lors des deux derniers premiers tours.

Paul Cébille concède toutefois que lui et ses confrères sont "influencés par le bruit médiatique". Voilà pourquoi Éric Zemmour, dont le potentiel viral est indéniable, est testé. "Mais attention, comme il n’est pas déclaré, nous publions à chaque fois deux hypothèses : celle ou il est en lice et celle où il ne se présente pas." S’il se présente, nul doute qu’il n’aura aucune difficulté à être sur la ligne de départ. Ce qui n’est pas le cas d’Hélène Thouy et de Georges Kuzmanovic qui s’échinent à séduire les maires avec leur bâton de pèlerin. Mais sans une masse de sondages.

Lucas Jakubowicz

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