Le 16 octobre 2020, Samuel Paty nous quittait. Le second anniversaire de son assassinat laisse un goût amer. Rien n’a vraiment changé, bien au contraire.

C’était il y a deux ans déjà. Deux ans qu’un professeur d’histoire de lycée a été décapité pour avoir appliqué le programme scolaire. Deux ans que le fait d’enseigner le droit à la caricature est passible de la peine de mort. Deux ans que la France pleure. Et réagit.

Union nationale…

Le 16 octobre 2020, jour de l’assassinat de Samuel Paty, a servi de déclencheur dans l’opinion publique qui a immédiatement manifesté son attachement à la laïcité dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Mis sous pression, les pouvoirs publics ont (enfin !) reconnu les failles qui ont rendu possible ce meurtre ignoble. Des enseignants lâchés par leur hiérarchie au nom du courageux principe du "pas de vagues", des réseaux sociaux non contrôlés ayant permis de livrer un enseignant en pâture, des associations communautaristes prêtes à tout pour faire avancer leur agenda, un rejet des valeurs laïques devenu la norme dans certains établissements scolaires…

Le drame, ne le cachons pas, a permis quelques avancées. Certaines associations coupables d’avoir attisé les braises en communiquant l’adresse du malheureux enseignant ou en publiant des fake news censées faire croire à une islamophobie d’État, ont été dissoutes. C’est notamment le cas de Baraka City ou du CCIF. Quelques lieux de culte ont été fermés et des islamistes radicaux expulsés. La parole s’est libérée, l’Éducation nationale peut de plus en plus difficilement fermer les yeux.

Mieux encore, dans un pays aussi conflictuel que la France, tous les partis politiques semblent sur la même longueur d’onde et pas un ne manque à l’appel pour commémorer ce triste anniversaire. Certes, Éric Zemmour a tenté de "faire main basse" sur la dépouille de Samuel Paty en organisant dès le 15 octobre un rassemblement intitulé "Contre l’offensive islamique à l’école ». Mais tous les mouvements s’impliquent, notamment les membres de la Nupes qui organisent un dépôt de gerbe à Paris.

Une prise de conscience de la population et de la classe politique, des failles identifiées, des actions concrètes mises en place. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Le "plus jamais ça" serait-il vraiment garanti ?

En commémorant l'anniversaire de la mort de Samuel Paty, une partie de la classe politique ne devrait pas avoir la conscience tranquille

Incohérences politiques

Si certains responsables de gauche clament leur attachement à Samuel Paty, peuvent-ils vraiment se regarder dans une glace ? Pas si sûr. Par idéologie, électoralisme, lâcheté ou utopie, nombre d’entre eux ont choisi d’essentialiser les musulmans de France en donnant des gages aux plus radicaux d’entre eux.

Les faits parlent d’eux-mêmes et un article entier ne suffirait pas à les énumérer : défiler avec le CCIF pour dénoncer l’islamophobie d’État, laisser entendre comme l’a fait Jean-Luc Mélenchon que les assassinats commis par Mohamed Merah sont le fruit d’un complot, autoriser les burkinis dans les piscines grenobloises comme l’a tenté le maire Éric Piolle pour plaire à une association proche des milieux islamistes, considérer à l’instar de Sandrine Rousseau que le voile est un "embellissement" ou que l’on ne peut pas rire de tout, ne pas se mobiliser pleinement pour la lycéenne Mila toujours menacée de mort et déscolarisée pour avoir blasphémé, ne pas réagir quand deux enseignants de l’IEP de Grenoble également menacés de mort lors d’une cabale de syndicats étudiants les qualifiant sans preuve "d’islamophobes", faire croire à l’instar de Clémentine Autain que Taha Bouhafs renonce à sa candidature aux législatives en raison d’attaques racistes alors que son comportement avec les femmes est à l’origine de son éviction….

Bref, au sein de la Nupes, certains ne doivent pas avoir la conscience tranquille. Mais ils peuvent se féliciter de leur sens stratégique. Selon l’Ifop, Jean-Luc Mélenchon a obtenu 69% des voix des musulmans français au premier tour de la présidentielle, et l’alliance a fait main basse sur quasiment toutes les circonscriptions de banlieues. Ce qui vaut bien quelques renoncements à l’universalisme républicain.

De son côté, le camp Zemmour fait son possible pour accaparer les commémorations, assimiler tous les musulmans à des coupables présumés, à des citoyens inintégrables et différents des autres. Rien de surprenant de la part du fondateur de Reconquête ! qui a également tenté de récupérer les morts du Bataclan.

Soulignons qu’Éric Zemmour et la Nupes se basent sur un sondage préoccupant pour conforter leur ligne. L’année dernière, une étude de l’Ifop a révélé que pour 56% des musulmans de 18 à 30 ans, montrer des caricatures de Mahomet dans les établissements scolaires était une "provocation", la moyenne chez les jeunes Français toute confession confondue étant de 22%. Visiblement, la Nupes a fait le choix de choyer un électorat d’avenir, l’extrême droite celui d’unir le reste de la population contre lui. Voilà qui augure des jours sombres.

L'assassin de Samuel Paty a gagné. Des enseignants préfèrent ne plus enseigner la laicité pour préserver leur intégrité physique

Rien n’a changé

En réalité les jours sombres ont déjà commencé. Nombreux sont les enseignants qui préfèrent ne plus enseigner la laïcité pour préserver leur intégrité physique. Nombreux sont les étudiants à fuir le métier d’enseignant pourtant l’un des plus nobles qui soient. L’islamisme politique continue de s’infiltrer dans les établissements scolaires. En moins d’un mois, un enseignant alsacien a été menacé, un professeur d’Évry Courcouronnes a reçu une lettre affirmant : "Votre prof, ce sale juif doit arrêter de faire le malin. On va lui faire une Samuel Paty à lui et à son père le vieux rabbin sioniste (…) On va s’en occuper à la sortie du lycée."  Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a reconnu dans un entretien récemment accordé au Monde "une vague de port de tenues pouvant être considérées comme religieuses notamment les abayas, les kamis ou les bandanas".

Les premières paroles de One love, chanson de U2 interprétée lors des obsèques de Samuel Paty sont plus actuelles que jamais. "Is it getting better ? Or do you feel the same ?" Non les choses ne vont pas mieux, oui nous ressentons la même chose. La peine de pleurer un "hussard noir" de la République. Et la douleur de réaliser que rien n’a changé.

Lucas Jakubowicz

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