Bien évidemment, les artistes de l'Hexagone ont le droit de critiquer le gouvernement ou de prononcer des discours pseudo-révolutionnaires. Mais s’ils espèrent être anticonformistes, c’est raté. Pour rester dans le système, mieux vaut l’attaquer…

C’était une tradition implicite dans le monde culturel soviétique. Lorsqu’un écrivain, un metteur en scène, un réalisateur ou un chanteur était récompensé d’un prix prestigieux, comme celui "d’artiste du peuple", il devait, par conformisme, chanter publiquement les louanges du communisme. Qui ne se prêtait pas au jeu était mis à l’écart.

Dans le microcosme de la culture française, une autre loi semble en vigueur. Césars 2021, Césars 2022, Molières 2023, Festival de Cannes… Pratiquement chaque grand raout donne lieu à la même scène. Des artistes dénoncent d'une voix vibrante et indignée le sort des intermittents du spectacle, le vilain libéralisme qui s’en prend à la culture et le gouvernement quelle que soit sa couleur. Dernier épisode en date, le discours de Justine Triet, lauréate de la palme d’or au Festival de Cannes pour Anatomie d’une chute. La réalisatrice a respecté la doxa en dénonçant la réforme des retraites, "un pouvoir dominateur et décomplexé" et "la marchandisation de la culture d’un gouvernement néolibéral". Fin avril, dans la même veine, lors de la cérémonie des Molières, deux actrices membres de la CGT critiquaient le gouvernement et criaient "Vive les casserolades !".

Un artiste qui remercierait un ministre de la Culture, qui défendrait la retraite par capitalisation ou pourfendrait l'écriture inclusive, ce serait vraiment punk et rebelle !

Après chaque discours empreint de moraline, le débat est toujours le même : une partie de l’opinion publique et de la classe politique fustige l’ingratitude d’artistes subventionnés. D’autres défendent, à juste titre, la liberté d’expression et le droit d’être anticonformiste. Ce qui, avouons-le, est assez savoureux.

Désormais, tenir un discours de gauche bien-pensante devient justement un signe de conformisme et permet d’assurer ses arrières. Exactement comme leurs homologues soviétiques lorsqu’ils célébraient le marxisme-léninisme, parfois davantage par carriérisme que par conviction.

Si un artiste veut frapper un grand coup et s’afficher punk ou rock’n' roll, une piste qui mérite d’être explorée : pourquoi ne pas sortir de la sémantique imposée ? Remercier un ministre de la Culture, défendre la retraite par capitalisation ou la fermeté migratoire et pourfendre l’écriture inclusive, ne serait-ce pas là être rebelle ? Voilà qui choquerait et surprendrait. Mais la carrière de l’audacieux risquerait d’être compromise. Pour rester dans le système, mieux vaut s’en prendre à lui…

Lucas Jakubowicz

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