Naguère force dominante à gauche, le PS doit changer son rapport aux autres. Union de la gauche, remise à jour d’une partie du logiciel, valeurs non négociables, reconquête de la France périphérique… Décideurs fait le point avec Emma Rafowicz, 28 ans, présidente des Jeunes Socialistes.

Décideurs Magazine. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous lancer en politique ?

Emma Rafowicz. J’ai commencé à militer lorsque j’avais 15 ans, mais la genèse de mon engagement remonte à l’enfance. J’ai eu la chance de grandir dans une famille venue en France pour des raisons politiques : c’est l’antisémitisme, l’assignation à résidence identitaire et la pauvreté en Europe de l’est qui a fait venir ma famille dans la patrie de droits de l’Homme et de la première Révolution. À table, les débats étaient parfois vifs. En somme, le terreau était propice à une expérience politique qui a vraiment débuté lorsque j’étais lycéenne en Seine-et-Marne durant la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy. En 2011, j’ai pris ma carte au PS pour soutenir la candidature de François Hollande et je n’ai jamais quitté le socialisme.

En 2011 le PS était la force dominante à gauche. Aujourd’hui, c’est un parti "comme les autres". Qu’est-ce que cela change au quotidien ?

À mon sens, le parti socialiste n’est pas un parti "comme les autres". Même si je suis consciente que le PS a déçu nos concitoyens ces dernières années, nous restons déterminés à changer la vie des gens en imposant un rapport de force aux forces du marché et à tous ceux qui imposent le néolibéralisme. Nos échecs nous encouragent à travailler encore plus, à être encore plus exigeants, à nous remettre en question sans renier notre héritage et notre ADN. Nous restons une force singulière qui a vocation à être centrale à gauche et à conquérir le pouvoir.

Dans le passé, le PS pouvait se lancer seul à la conquête du pouvoir puis rassembler après. Ce temps-là est-il révolu ?

D’une certaine façon oui, mais est-ce une mauvaise chose ? Je suis persuadée que, pour que la gauche revienne aux affaires, elle doit s’unir le plus en amont possible. C’est pour cela que les organisations de jeunesse des différents partis de gauche ont décidé de travailler ensemble et de rédiger un programme commun de 166 propositions. Cette union, nous ne la faisons pas parce que l’on s’adore. Soyons clairs, nous avons des divergences. Mais notre génération ne se pardonnerait pas d’avoir mis à mal la capacité de la gauche à gagner pour des histoires d’ego et d’appareils.

"L'union, nous ne la faisons pas parce que l'on s'adore. Nous avons des divergences mais, je suis persuadée que pour revenir aux affaires, la gauche doit s'unir le plus en amont possible"  

En quoi les Jeunes Socialistes se différencient-ils des autres forces ?

Nous portons un regard universel sur le monde qui nous entoure, nous ne hiérarchisons pas les enjeux, les causes ou les luttes parce qu’elles peuvent et doivent converger. Nous nous battons au quotidien pour la justice sociale, écologique et pour la réalisation concrète de la promesse républicaine. Nous voulons continuer à porter haut et fort les valeurs de la laïcité à la française et de l’universalisme. Mais être une universaliste convaincue suppose aussi de regarder en face la réalité des discriminations sous peine de transformer ce mot en promesse vide. Très concrètement aussi, nous sommes la première organisation de jeunesse de gauche.

En matière d’universalisme, vos alliés à gauche tiennent un langage différent. Ils prônent une vision communautariste, l’intersectionnalité des luttes…

La vie politique, c’est un combat culturel. Il faut convaincre ceux qui ne pensent pas comme nous, débattre, persuader. Ne pas s’allier avec eux revient à ne pas mener la bataille, à ne pas défendre nos idéaux. Et accessoirement à ne pas ouvrir son esprit.

Le mot intersectionnalité des luttes peut effrayer certains. Mais je ne pense pas que tout soit à jeter sous prétexte que le terme ne rentre pas dans mon mode de pensée initial, certains travaux universitaires apportent un éclairage. Le racisme, l’antisémitisme, la LGBT phobie existent, rongent la cohésion de notre société. Tous les textes qui permettent de mieux le comprendre et de mieux le combattre doivent être étudiés. Les nier par principe serait une erreur.

Certains tendent à faire croire que ces problèmes sont périphériques pour mieux les cacher. Mais si la gauche veut gagner, elle doit mettre la justice et l’égalité au centre de tout. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations doit être mise sur le même pied que des sujets liés à l’écologie ou au pouvoir d’achat. Comme le coût des transports ou du chauffage sur tout le territoire. Il n’y a pas de micro-sujet ou de micro-lutte : défendre un idéal c’est lutter pour tout, sans jamais se mettre des œillères.

L’élection présidentielle et les législatives de 2022 montrent que la gauche se replie sur les grandes villes et recule dans la "France périphérique". Comment y remédier ?

D’abord en étant présents partout. C’est le cas des Jeunes Socialistes. Nous sommes implantés dans tous les départements de France. Pour reprendre la thèse de Roger Martelli, les identités politiques ne valent rien sans les acteurs de terrain qui les portent. Cela dit, je suis pleinement consciente que la gauche a beaucoup déçu par son action jugée parfois insuffisante mais aussi parce que par son langage, son action, elle a peiné à faire comprendre qu’elle faisait partie du peuple. Nous essayons de changer cela. Par exemple, les socialistes ont lancé sous l’impulsion du député de l’Eure Philippe Brun et de Sarah Kerrich, élue dans les Hauts-de-France, la convention Retrouvons le peuple ! Tout est dans le titre.

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Concrètement, quel est le but ?

L’objectif est de casser les clichés, rompre avec cette barrière du langage qui isole les Français de la gauche. Notre langage peut à tort être perçu comme méprisant. Trop de citoyens ont le sentiment que la gauche juge tout : manière de manger, goûts musicaux, façon de parler, de s’habiller. Nous donnons une image inverse de ce que nous voulons porter réellement. Si je prône l’union de la gauche c’est aussi pour ouvrir les yeux à mes camarades des autres partis sur cette situation. Et certains propos comme ceux de François Ruffin laissent présager des convergences fortes avec les socialistes.

"Trop de citoyens ont le sentiment que la gauche juge tout : manière de manger, goûts musicaux, façons de parler, de s'habiller..."

Aujourd’hui, les Jeunes Socialistes, ce sont combien de divisions ?

Nous sommes plus de 5 000 militants âgés de 15 à 30 ans. Nous avons, je le reconnais, une majorité d’étudiants ou de diplômés, ce qui est le propre de tous les mouvements politiques. Mais nous comptons également dans nos rangs de jeunes travailleurs, des lycéens. Si la diversité chez les Jeunes Socialistes existe, elle n’est pas encore assez présente. Nous sommes une organisation démocratique, qui porte l’éducation populaire, le militantisme, la formation et la convivialité en son cœur : nous voulons réinventer la manière de faire de la politique.

Depuis 2023, le Mouvement des Jeunes socialistes (MJS) a changé de nom. Désormais, vous vous nommez Les Jeunes socialistes. Cet été, vous aviez fait polémique en attaquant les éléphants. Ça a fait du remous en interne ?

Cela dépend des personnes, mais cela m’importe peu. La force du parti socialiste est d’être un parti démocratique. On le dit souvent entre nous, quand il y a deux socialistes dans une pièce, il y a toujours trois idées. Mais globalement, je trouve que le renouvellement et le changement de nom de son organisation de jeunesse ont été accueillis avec beaucoup de bienveillance par le parti. Olivier Faure nous a été d’une grande aide, notamment en nous permettant de retrouver notre autonomie vis-à-vis de l’appareil.

La Nupes vous a-t-elle permis d’avoir plus d’adhérents ?

Évidemment, l’accord nous a donné une grande dynamique. Cela s’explique de manière simple : les socialistes sont officiellement redevenus de gauche. Beaucoup nous reprochaient des compromissions ou des trahisons du temps de François Hollande. Nous avons tiré les leçons de cette période et la Nupes nous a permis de dire clairement où nous nous situions sur l’échiquier politique. Automatiquement, on attire plus en se positionnant qu’en restant dans une zone de flou.

"Certains propos de François Ruffin laissent présager d'une convergence forte avec les socialistes"

Pour gagner les élections, le PS a un éternel dilemme : se positionner au centre ou assumer son positionnement de gauche. Vous assumez votre positionnement au risque d’effrayer les électeurs les plus modérés ?

Les deux choix proposés semblent un peu binaires. Quand François Mitterrand a fait le programme commun, ce fut un long chemin qui a mené au Congrès d’Épinay puis au programme commun noué avec le parti communiste. La ligne était résolument de gauche et c’est ce parcours qui a permis la victoire de 1981 en alliant les classes moyennes et populaires. Aujourd’hui, le sentiment d’injustice est si criant que mettre la barre à gauche est une nécessité.

Quand on est jeune socialiste, on a probablement la nostalgie du passé, le culte de figures inspirantes. Qui sont vos modèles aux jeunes socialistes ?

Il est impossible de parler de socialisme sans parler de Léon Blum ou de Jean Jaurès. Si François Mitterrand est une figure de proue, j’ai toujours été très inspirée par les combats féministes de Gisèle Halimi. Mais je pense que la transmission se fait bien souvent à un niveau plus local.

Personnellement, j’ai milité en Essonne puis à Paris. Les anciens députés de Paris Patrick Bloche et Danièle Hoffman-Rispal, tous deux investis dans des combats comme le Pacs ou la parité, me marquent plus que quiconque, c’est dans leur héritage que je construis mon parcours et mes positionnements politiques. Ces responsables et ces militants qui nous parlent des Congrès d’Épinay, d’Amiens, de leurs combats, des courants qu’ils ont participé à créer, des batailles électorales qu’ils ont gagné… tout cela nous font comprendre que nous ne sommes que les maillons d’une chaîne. Leurs victoires, leurs échecs, leurs doutes, tout cela m’oblige. Un jour, notre génération aura elle aussi à transmettre le flambeau.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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