Faute de trouver un successeur légitime issu de la famille, certaines entreprises se tournent vers un directeur général extérieur. Afin que la prise de poste se passe au mieux, les règles de gouvernance doivent être claires et le nouveau dirigeant savoir faire preuve de tact.

La transmission du pouvoir au sein d’une entreprise n’est pas toujours aisée. Les choses peuvent se corser lorsque la société appartient à une famille. Afin d’éviter les déboires quand un dirigeant passe la main à un autre, les patriarches et les générations suivantes sont appelés à anticiper la transmission du flambeau. Mais tous ne l’ont pas en tête : 47 % des dirigeants français d’entreprises familiales de plus de 60 ans n’ont pas formalisé leur plan de succession. Ils sont encore 36 % à plus de 70 ans. Pire encore : 76 % des organisations dont l’actionnariat est familial ne disposent d’aucun outil de gouvernance adapté. Ce qui peut être un handicap au moment du changement de génération mais devient une réelle épine dans le pied quand, faute de candidat crédible au sein du noyau familial, un nouveau dirigeant arrive de l’extérieur.

C’est pourquoi, lors de la transmission, il est important de bien tout mettre à plat : profil du futur directeur général, stratégie et attentes de la famille, modes de communication entre le nouveau dirigeant et la descendance, type de croissance attendue (rente, rendement ou, plus rarement, croissance frontale), etc. En outre, les actionnaires doivent savoir qui suivra le processus de recrutement et tranchera entre les différents postulants. "Souvent dans les familles, certains ont des velléités de donner leur avis sur la nomination, remarque Frédéric Bucher, avocat associé au sein de Couderc Dinh & Associés. Or, ils ne sont pas toujours les mieux outillés pour apprécier les compétences des candidats."

Avis extérieurs

D’où l’intérêt de recourir à un chasseur de têtes ou à un conseil extérieur et de ne permettre de choisir qu’à un nombre restreint de représentants de la famille afin que la décision finale se fasse le plus sereinement possible. D’autant que, dans certains cercles familiaux, les conflits liés au business peuvent être légion quel que soit le sujet. "Plus l’enjeu financier est important, plus les relations peuvent être tendues", rappelle Frédéric Bucher.

"Plus l’enjeu financier est important, plus les relations peuvent être tendues"

Pour une gouvernance apaisée, la désignation d’un administrateur indépendant qui jouera les courroies de transmission entre la famille et le DG s’avère souvent indispensable. Celui-ci porte un regard neutre qui favorise la remise en question des uns et les autres. "Cet administrateur se voit confier un rôle transparent, sans conflits d’intérêts. Il peut même être le représentant d’un fonds minoritaire présent au capital mais certainement pas un conseiller de l’ombre de la famille", précise l’avocat. "Ce qui compte, c'est la recherche permanente de l'alignement : recruter un administrateur indépendant permet de débloquer certaines discussions difficiles", poursuit Claude Lopez, associé chez Visconti Partners, cabinet spécialisé dans le coaching de dirigeants.

Repenser la gouvernance

La place du nouveau DG doit également être clarifiée. Quel est son périmètre et, s’il est chapeauté par un président issu de la famille, quelle est la meilleure posture à adopter ? "Autant, avant l’arrivée d’un dirigeant extérieur, certaines règles de gouvernance peuvent être considérées comme optionnelles et les boards se tenir le dimanche lors de repas de famille. Autant, quand un DG arrive de l’extérieur, il faut mettre en place un conseil d’administration ou de surveillance de manière à permettre la dissociation entre gouvernance stratégique et gouvernance opérationnelle, estime Claude Lopez. Il convient d’aller bien au-delà du simple aspect juridique."

La question des valeurs de l’entreprise reste fondamentale lorsqu’une nouvelle tête arrive. "Le dirigeant entre généralement dans une entreprise pétrie de valeurs familiales qui ne sont pas toujours écrites, explique Hubert Reynier, dirigeant- fondateur de Visconti Partners. D’un côté, c’est positif car le conflit d’intérêts à disparu : il n’y a plus la dimension affective liée au fait que le dirigeant précédent était issu de la famille. Mais d’un autre côté le nouveau DG n’a ni grandi ni été éduqué dans ce qui a pu faire la force de l’entreprise." D’où l’intérêt de bien communiquer sur ce qui importe à la famille afin que le nouveau patron puisse embrasser cette dynamique sans risques d’incompréhension ou de frustrations sur le sujet.

Ranger son ego

Est-ce pour autant que les dirigeants nouvellement nommés doivent faire le dos rond en permanence ? « Les entreprises familiales recherchent des gens ambitieux mais la notion de tact est fondamentale », insiste Hubert Reynier. Frédéric Bucher ajoute : "Un dirigeant qui a beaucoup d’ego aura du mal à tenir. Par exemple, même s’il se montre compétent, certaines familles en parleront toujours comme d’une pièce rapportée voire comme d’un préposé de la famille." Et d’ajouter : "Il doit savoir mettre son orgueil de côté et arriver à faire partager sa stratégie aux actionnaires."

"Le dirigeant entre généralement dans une entreprise pétrie de valeurs familiales qui ne sont pas toujours écrites"

Le dirigeant extérieur et la famille peuvent également être déstabilisés par leurs rapports au temps et à l’argent. L’entreprise familiale s’inscrit dans le temps long. "Elle doit perdurer, confirme Claude Lopez. On n’attend pas du DG de ce type de société qu’il maximise les résultats autant que si un fonds de private equity était l’actionnaire majoritaire. On escompte qu’elle passe d’une génération à une autre." À noter toutefois que les entreprises familiales ont souvent des processus de décision plus courts. Une agilité sur laquelle les dirigeants peuvent capitaliser.

Questions d’argent

Le rapport à l’argent diverge également. Si les membres de la famille font travailler leurs propres deniers, le DG venu de l’extérieur, lui, ne joue pas les siens. Ce qui a un impact sur sa stratégie. Par ailleurs, le sujet de la rémunération s’avère central. "Est-ce que le dirigeant doit être associé au capital de l’entreprise ? Est-ce que les variables annuels peuvent être destructeurs de valeur pour la famille puisqu’ils s’inscrivent dans un horizon de temps souvent assez court ? Ce sont des questions qui doivent être mises sur la table", selon Claude Lopez.

In fine, les discussions en amont de la prise de poste ainsi que pendant se révèlent cruciales. "Les cent premiers jours sont très importants, conclut Claude Lopez. Il faut se caler en permanence. Il convient de faire régulièrement des points et des retours sur ce qu’on a appris lorsqu’on a eu une discussion difficile." Ces conseils s’avèrent valables pour d’autres types de gouvernance car le business demeure avant tout une question d’hommes et de femmes. Il ne faut jamais l’oublier.

Olivia Vignaud

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